Dans la Quotidienne #4 des Suds, à Arles 2023 : De père à enfants, de maître à élèves, les Chemirani perpétuent la tradition persane et iranienne. Hommage au grand art de leur père qui les accompagne sur scène avec la sage poésie de Saadi ou de Rûmi, c’est dans une complicité virtuose qu’ils honorent tous ensemble un héritage savant millénaire !
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"C’est le travail d’un griot ou d’un aède que de rappeler les hauts faits, les exploits qui ont jalonné, l’espace de deux générations au plus, une route tracée sans ostentation, mais avec la pulsation obstinée des années et des décennies qui s’écoulent sans fureur.
Ponctuées par des rencontres et des allers-retours entre la terre qu’on laisse et celle qui nous accueille, cette vie de scansions et de rythmes égrène aussi les visages, les lieux, les horizons et les émotions qui nous animent.
Une famille et une opiniâtreté sans limites, qui permet à Djamchid d’ancrer dans l’écoulement des vies de chacune et chacun de ses proches la seule certitude qui ne doit pas nous effrayer : le temps est une création humaine.
À la différence des musiques savantes occidentales, la musique des maîtres persans se souvient de son lien aux motifs populaires, à la procession des rites et des inventions mythologiques qui divisent l’année pour la rendre éternelle. Il en va de même des poètes qui, dans le secret de leur mystique, n’oublient jamais de déléguer l’écoute du monde à l’empire passager d’une cadence ou d’un battement.
Ce soir, Djamchid convoque les assonances perlées d’un Rûmî, la régularité ternaire de Hâfez ou l’élégance harmonieuse de Saadi. Comme il a, depuis de nombreuses années, en les invitant chez lui - chez nous -, fait briller de grands maîtres de musique persane ou d’ailleurs que nous eussions connu différemment sans lui : Madjid Kiani, virtuose du santour, l’explorateur irlando-grec Ross Daly ou Dariouch Tala’i, maître du târ, et tant d’autres. Sans jamais avoir l’air de s’y adonner, Djamchid Chémirani a aussi ouvert l’horizon musical et enrichi la connaissance dans nos pays d’Occident. Et, pendant que des mathématiciens se penchent sur son œuvre, il est là ce soir pour nous rappeler la douceur et la bienveillance du temps qu’on accepte, du temps qui nous prend et de celui qui nous comprend.
C’est entouré de ses enfants qu’il nous redira que cet attachement au temps est avant tout une poétique de la vie, avec aux percussions ses fils Bijan et Keyvan et au chant ses filles Mardjane et Maryam. Sylvain Barou aux souffles et Ballaké Sissoko à la kora nous rappelleront, quant à eux, que l’invention du temps est aussi due à la nécessité vitale de respirer. Et que si tout cela s’unit harmonieusement, le temps s’efface et se dilue enfin dans l’espace."
Manu Théron